Décerné à Lorraine de Foucher, un prix Albert Londres teinté de MeToo / Photo: Christophe SIMON - AFP/Archives
Lorraine de Foucher "s'attaque à des sujets trop longtemps tus" comme les violences faites aux femmes, a salué le jury: la plume du Monde a remporté mercredi le 86e prix Albert Londres, récompense la plus prestigieuse du journalisme francophone.
A 38 ans, la journaliste a été choisie pour ses reportages et enquêtes publiés dans le quotidien sur l'affaire des viols de Mazan, les femmes migrantes violées, les victimes de l'industrie du porno, les jeunes filles exploitées sexuellement à Perpignan et encore les adolescents tueurs à gages.
Le jury a rendu un vibrant hommage à cette pionnière: "elle s'attaque à des sujets trop longtemps tus dans notre société" et "les traite avec curiosité, style et respect", avec une écriture "haute couture".
Par ailleurs, le 40e prix de l'audiovisuel a été décerné à Antoine Védeilhé et Germain Baslé pour leur film "Philippines: les petits forçats de l'or" (diffusé sur Arte), sur le travail d'enfants exploités dangereusement.
Enfin, le 8e prix du livre a couronné Martin Untersinger pour "Espionner, mentir, détruire" (Ed. Grasset), une enquête sur les attaques dans le cyberespace.
Composé d'anciens lauréats, le jury avait renoncé à contrecœur à remettre les prix 2024 à Beyrouth, en raison il y a deux mois de la guerre ouverte au Liban entre Israël et le Hezbollah. La cérémonie s'est donc tenue mercredi à Paris.
Albert Londres (1884-1932) est le père du grand reportage moderne. La récompense portant son nom avait été décernée pour la première fois en 1933 et était allée à un certain Emile Condroyer pour ses reportages dans le quotidien Le Journal.
Quatre-vingt-onze ans plus tard, Lorraine de Foucher se félicite d'un "signal" envoyé avec son prix. "Les violences masculines sont un nouveau champ" pour le journalisme et "c'est assez fort" de le reconnaître, "cela anoblit la matière", a-t-elle déclaré à l'AFP, en souhaitant qu'elle devienne "incontestable".
- Pratiques nouvelles -
"Nous travaillons avec des victimes très marquées, il y a la question du trauma, la gestion de l'émotion", souligne la lauréate, qui évoque un exercice "particulier".
Diplômée du Centre de formation des journalistes (CFJ) en 2011, Lorraine de Foucher a commencé au Monde comme pigiste en 2014, avant de devenir membre à part entière du service Société.
Elle avait tôt participé à une cellule d'investigation sur le sujet des féminicides, qui a abouti notamment à la diffusion d'un documentaire choc sur France 2 en 2020 mettant au jour un schéma criminel récurrent, dont elle était coréalisatrice.
Egalement podcasteuse et écrivaine, Lorraine de Foucher avait déjà été préselectionnée l'année dernière pour le prix Albert Londres dans la catégorie audiovisuel, pour le documentaire "Philippines: viols d'enfants en ligne, l'enfer derrière l'écran", avec Jean-Baptiste Renaud.
Cette année, le jury a récompensé avec le documentaire d'Antoine Védeilhé et Germain Baslé sur "les petits forçats de l'or" des Philippines "une narration à la manière d'Albert Londres" et "une maîtrise de l'image rare qui marque les mémoires".
Enfin, le jury a applaudi l'"enquête vivante, limpide et originale" de Martin Untersinger restituée dans son livre "Espionner, mentir, détruire", malgré le "sujet complexe et ardu" que constituent les cyber-attaques.
Le prix du reportage audiovisuel a été créé en 1985 et celui du meilleur "livre d'enquête et de reportage" en 2017.
Les lauréats reçoivent chacun 5.000 euros.
Pour pouvoir prétendre au prix Albert Londres, les candidats doivent être francophones et avoir moins de 41 ans.
La carte de presse n'est pas obligatoire pour concourir au prix, ouvert à tous les genres de presse (économique, politique, sportive, culturelle...).
Les journalistes peuvent se présenter à titre individuel: il n'est pas nécessaire d'être recommandé par un journal, un diffuseur, une société de production ou un éditeur.
F.Varghese--BD