"Le 16 octobre 2020 à 16H54, le terrorisme islamiste a atteint l'école, coeur battant de la République", a affirmé lundi l'avocat général Nicolas Braconnay en entamant son réquisitoire contre les huit accusés impliqués, à des degrés divers, dans l'engrenage mortifère qui a conduit à l'assassinat du professeur Samuel Paty à la sortie de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
"Samuel Paty n'était pas un martyr. Il n'est pas mort en militant. Il n'est pas mort en hussard noir de la République mais en victime innocente d'un crime radicalement abject et absurde", a poursuivi le magistrat devant la cour d'assises spéciale de Paris dans une salle d'audience pleine à craquer.
"Samuel Paty n'est pas un symbole mais, à travers lui, c'est beaucoup de ce que nous sommes qui a été atteint", a souligné l'avocat général.
Les réquisitions des avocats généraux, Nicolas Braconnay et Marine Valentin, sont prévues sur l'ensemble de la journée.
Deux hommes, Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov, âgés respectivement de 22 et 23 ans, amis de l'assaillant Abdoullakh Anzorov, encourent la peine la plus lourde, soit la perpétuité, pour "complicité d'assassinat terroriste".
Accusé d'avoir aidé Anzorov, un islamiste radical tchétchène de 18 ans, à se procurer des armes et, concernant Boudaoud, de l'avoir conduit aux abords du collège le 16 octobre 2020, les deux jeunes gens ont affirmé à l'audience avoir tout ignoré des intentions meurtrières de leur ami et n'ont eu de cesse de proclamer leur innocence.
Si la cour d'assises spéciale de Paris ne retenait pas l'infraction de complicité d'assassinat terroriste à leur encontre, le parquet a proposé jeudi une requalification en "association de malfaiteurs terroriste criminelle", un crime puni de 30 ans de réclusion criminelle. Les avocats des deux accusés ont proposé de leur côté une requalification en "association de malfaiteurs" de droit commun, une infraction punie de 10 ans de prison.
Les six autres accusés sont tous poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Le prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, 65 ans, et Brahim Chnina, 52 ans, sont accusés d'avoir participé "à l'élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine" à l'encontre de Samuel Paty.
"Ce que j'ai fait est irréparable et impardonnable", a admis à l'audience Brahim Chnina, le père de la collégienne qui a menti en accusant faussement Samuel Paty d'avoir discriminé les élèves musulmans de sa classe à l'occasion d'un cours sur la liberté d'expression.
En réalité, la collégienne n'avait pas assisté au cours de Samuel Paty et le professeur n'avait pas discriminé ses élèves.
S'agissant de sa responsabilité pénale, Brahim Chnina a contesté les accusations portées contre lui. "Je ne fais pas partie d'une association de malfaiteurs terroriste", a-t-il soutenu.
Vieux briscard du militantisme islamiste, fondateur de l'association (aujourd'hui dissoute) pro-Hamas "Collectif Cheikh-Yassine", Abdelhakim Sefrioui a lui aussi contesté en bloc les accusations portées contre lui.
Si l'enquête a établi qu'Abdoullakh Anzorov a pris connaissance de la polémique visant Samuel Paty à travers les messages et la vidéo publiés les 7 et 8 octobre 2020 par Brahim Chnina, rien ne démontre qu'il a vu la vidéo postée par Abdelhakim Sefrioui le 12 octobre.
"Si ma vidéo n'avait pas existé, ça n'aurait rien changé" au sort de Samuel Paty, a osé Abdelhakim Sefrioui à l'audience.
Tournée devant l'entrée du collège où travaillait Samuel Paty, la vidéo du prédicateur évoque un "enseignant voyou" ayant commis un acte "abject".
Si la cour ne retenait pas l'infraction d'association de malfaiteurs terroriste contre ces deux accusés, elle aurait la possibilité de les reconnaître coupables de l'infraction d'association de malfaiteurs de droit commun ou de provocation au terrorisme, aggravée par l'utilisation d'un service de communication en ligne, un délit passible de sept ans de prison et 100.000 euros d'amende.
Les quatre autres accusés, (Yusuf Cinar, Ismaël Gamaev, Louqmane Ingar, tous âgés de 22 ans, et Priscilla Mangel, 36 ans, la seule femme mise en cause), présentés par l'accusation comme membres de la "jihadosphère" qui gravitait autour d'Abdoullakh Anzorov sur les réseaux sociaux, ont tous nié, à l'exception du seul Ismaël Gamaev, être impliqués dans l'assassinat du professeur.
Si la cour ne retenait pas l'association de malfaiteurs terroriste à leur encontre, elle aurait la possibilité de les reconnaître coupables de provocation au terrorisme ou d'apologie du terrorisme, un délit passible de sept ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende.
E.Narula--BD