Cinq journalistes assassinés en moins d'un mois et demi : l'année 2022 a débuté de manière sanglante pour la liberté de la presse au Mexique, une spirale de la violence nourrie par l'impunité.
L'assassinat d'Heber Lopez Vazquez, 39 ans, directeur du site d'information Noticias Web, abattu jeudi dans l'Etat d'Oaxaca (sud), porte désormais à cinq le nombre de journalistes tués depuis début 2022, contre sept pour l'ensemble de l'année 2021.
Le reporter a été assassiné alors qu'il rentrait chez lui en voiture dans la ville de Salina Cruz. Deux meurtriers présumés ont été arrêtés.
Selon Balbina Flores, porte-parole de Reporters sans frontières (RSF) au Mexique, le journaliste, qui ne bénéficiait pas du programme gouvernemental de protection, avait reçu des menaces fin 2019 en lien avec des dénonciations de corruption contre un élu local.
"Quelques jours avant (son assassinat), il a publié des informations sur la corruption dans la municipalité", a-t-elle expliqué à l'AFP.
En janvier, quatre journalistes mexicains avaient déjà été tués. Deux à Tijuana (nord-ouest), la journaliste de télévision Lourdes Maldonado et le photoreporter Margarito Martinez ; Roberto Toledo, collaborateur du média en ligne Monitor, dans l'Etat de Michoacan (centre) et José Luis Gamboa, dans l'Etat de Veracruz (est).
Le Mexique, qui compte 126 millions d'habitants et connaît une spirale de violences liées au narcotrafic, figure au 143e rang sur 180 dans le classement sur la liberté de la presse établi par RSF.
Depuis le début des années 2000, 150 journalistes ont été assassinés dans le pays, selon RSF. Parmi eux, 29 l'ont été depuis le début du mandat du président de gauche, Andres Manuel Lopez Obrador, au pouvoir depuis 2018.
"Ce sextennat se profile comme un des plus sanglants" pour la presse, déplore Balbina Flores.
Vendredi, le chef de l'Etat a promis "zéro impunité" pour les assassins de journalistes. "Et c'est un message à ceux qui sont impliqués dans la criminalité, tant la criminalité organisée que la criminalité en col blanc", a-t-il ajouté.
- "Niveau local" -
RSF souligne toutefois que 92% des crimes contre les journalistes restent impunis dans le pays.
"Au Mexique on tue (les journalistes) car cela ne coûte rien. Ceux qui courent le plus de risques ce sont les journalistes avec leur plume, leur ordinateur, leur enregistreur, leur micro, et ceux qui courent le moins de risque ce sont ceux qui appuient sur la gâchette", accuse Juan Vazquez, de l'association Articulo 19 qui défend la liberté de la presse.
Outre les défaillances gouvernementales dans la protection des journalistes et l'impunité généralisée, un autre facteur apparaît : la majorité des assassinats "ont lieu au niveau local et concernent des petits organes de presse, très vulnérables comme leurs journalistes", souligne Mme Flores.
Plusieurs journalistes tués au cours des dernières années dirigeaient ou travaillaient pour des sites internet, parfois même des pages Facebook, où ils diffusaient des informations sur les autorités locales, qui sont bien souvent en collusion avec des groupes criminels.
Face à la difficulté de rentabiliser cette activité, certains journalistes doivent alterner avec d'autres emplois.
"Au Mexique, le journalisme est très précaire" économiquement, souligne Balbina Flores, pour qui rares sont ceux qui parviennent à vivre de la profession.
Cette situation conduit parfois les autorités à ne pas considérer ces assassinats comme des crimes contre la liberté de la presse.
Cette violence croissante à l'encontre des journalistes s'inscrit également dans un contexte de défiance entre le gouvernement et le secteur de la presse.
Le président Lopez Obrador n'hésite pas à qualifier les médias de "mercenaires" car servant, selon lui, des intérêts privés ennemis de son "processus de transformation".
Vendredi, tout en déplorant l'assassinat d'Heber Lopez Vazquez, il n'a pas hésité à divulguer les revenus élevés qu'aurait perçus le journaliste Carlos Loret de Mola, l'un de ses plus grands détracteurs.
N.Sabharwal--BD