Une séance historique: l'Assemblée nationale débat de la motion de censure qui devrait faire chuter le gouvernement de Michel Barnier, un acte inédit depuis 1962 avec une grande incertitude politique et budgétaire à la clé.
Dans un hémicycle comble et une ambiance très agitée, les députés examinent deux motions de censure, déposées lundi par la gauche et le Rassemblement national, après que le gouvernement a engagé sa responsabilité pour faire adopter sans vote le budget de la Sécurité sociale.
La motion de la gauche devrait être adoptée dans la soirée, grâce au soutien du RN qui estime ses demandes insuffisamment prises en compte dans le budget.
Au moment du vote, les ministres se retrouveront à Matignon pour partager un verre avec le Premier ministre, selon l'entourage de Michel Barnier.
S'il est renversé, il devra immédiatement aller présenter sa démission au chef de l'Etat, conformément à la Constitution.
- "Le glas d'un mandat" -
Le président de la République "est aujourd'hui un obstacle, et en rien une solution. Aujourd'hui nous votons la censure de votre gouvernement mais, plus que tout, nous sonnons le glas d'un mandat: celui du président", a déclaré à l'ouverture des débats le député de Seine-Saint-Denis.
"La politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget", a déclaré de son côté la cheffe des députés RN. Face à la "défiance populaire", c'est à Emmanuel Macron de "conclure s'il est en mesure de rester ou pas" président, a-t-elle ajouté, alimentant elle aussi l'hypothèse d'une démission du président de la République, que ce dernier écarte.
A rebours, Laurent Wauquiez (LR), a fustigé avec virulence "le choix de l'irresponsabilité" et du "chaos" fait selon lui par les députés lepénistes, qui s'apprêtent à "voter pour ceux qui traitent les policiers d'assassins". "Ressaisissez-vous, ressaisissez-vous", leur a-t-il intimé, en mettant en garde contre une motion de censure "qui va plonger le pays dans l'instabilité".
"Les institutions nous contraignent à mêler nos voix à celles de l’extrême gauche, ce n'est pas de gaité de cœur", avait répondu par avance Marine Le Pen.
- Une nomination dès cette semaine ? -
Jusqu'au dernier moment, les responsables de l'exécutif et de la coalition gouvernementale ont voulu écarter l'inéluctabilité de ce scénario, en appelant à la "responsabilité" des députés.
Depuis Ryad, Emmanuel Macron a dit mardi soir ne "pas croire au vote de la censure", pointant un "cynisme insoutenable" du RN s'il joignait ses voix à celles du NFP, et du côté du PS une "perte de repères complète".
Michel Barnier a lui souligné sur TF1 et France 2, que chaque député avait "une part de responsabilité", espérant que prévale "l'intérêt supérieur du pays".
Emmanuel Macron doit arriver à Paris en fin de journée de retour d'Arabie saoudite, juste à temps pour recevoir à l'Elysée Michel Barnier s'il est renversé.
Ensuite, le président entend désigner "rapidement" un successeur à Matignon, selon tous ses interlocuteurs.
Les noms du ministre des Armées Sébastien Lecornu, du LR Xavier Bertrand, du président du MoDem François Bayrou sont à nouveau évoqués comme cet été pour Matignon.
Une nomination avant la cérémonie en grande pompe pour la réouverture de Notre-Dame, samedi, est "possible" mais pas garantie, estime un proche qui rappelle les délais souvent longs d'Emmanuel Macron en matière de remaniements. "Rien n'est acté", se borne pour l'instant à répondre l'entourage présidentiel.
Au sein du socle commun qui peinait déjà à soutenir de manière unie Michel Barnier (LR, Modem, Horizons et macronistes), les fissures pourraient s'élargir sur les stratégies d'après-censure.
- "Accord de non censure" -
Les Républicains menacent déjà de reprendre sa liberté: son chef de file Laurent Wauquiez souligne que l'engagement de son parti avec la coalition gouvernementale en septembre "ne valait que pour Michel Barnier". De son côté, le chef de file des députés macronistes Gabriel Attal propose de nouer un accord de "non censure" de LR jusqu'au PS pour échapper à la tutelle du RN.
La gauche reste de son côté désunie sur l'après-Barnier. Dans son discours, le président du groupe PS Boris Vallaud a plaidé pour un "changement de méthode, un chemin de dialogue et d'actions concrètes avec les seules forces républicaines", évoquant la conclusion entre elles d'un "accord de non censure" qui permette aux macronistes de rompre avec un "gouvernement de connivence avec l'extrême droite".
Le sénateur écologiste Yannick Jadot souhaite même que ce gouvernement de gauche inclue "des ministres issus du bloc central" à l'opposé de la position de son parti.
De son côté, LFI continue de proposer la nomination à Matignon de la haute fonctionnaire Lucie Castets, et surtout de réclamer la démission d'Emmanuel Macron.
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D.Jayaraman--BD