Nouvelle alerte dans les robinets: un polluant éternel très compliqué à retirer de l'eau, l'acide trifluoroacétique (TFA), a été retrouvé dans l'eau du robinet d'une large majorité des villes où il a été recherché, selon une enquête publiée jeudi.
Retrouvé dans l'eau de 24 communes sur 30, il dépasse à lui seul, dans 20 communes, la norme référence en Europe de 100 nanogrammes/litre pour les vingt PFAS réglementés, qui doit entrer en vigueur en 2026, selon cette enquête réalisée par l'UFC-Que Choisir et l'ONG environnementale Générations Futures.
Quasi indestructibles, ces PFAS, ou polluants éternels, regroupent au total plus de 4.700 molécules et s'accumulent avec le temps dans l'air, le sol, les rivières, jusque dans le corps humain. En cas d'exposition sur une longue période, ils peuvent avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers, selon des études.
S'il n'est pas "aussi dangereux que les PFOA ou PFOS", interdits en Europe depuis plusieurs années, des zones d'ombre subsistent sur la toxicité du TFA, évalué comme nocif pour le foie et la reproduction (risques de malformations), et il est "quasi indestructible dans l'environnement", souligne l'étude.
Parmi les 30 communes dont l'eau a été analysée, le 10e arrondissement de Paris arrive au second rang en matière de concentration, avec 6.200 ng/l, derrière Moussac, dans le Gard (13.000 ng/l). Bruxerolles, dans la Vienne, complète ce podium, avec 2.600 ng/l.
Moussac se situe près de Salindres, où une usine du groupe Solvay produisait du TFA jusqu’en septembre dernier, rappelle l'enquête.
Le TFA est en France "très peu — pour ne pas dire jamais — recherché par les agences régionales de santé lors des contrôles des eaux potables", déplore l'étude, qui souligne qu'il est souvent issu de la dégradation du flufénacet, herbicide évalué fin septembre par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui selon Générations Futures, le classe comme perturbateur endocrinien.
- Renforcer les normes -
Problème, le TFA est "moins bien retenu" que d'autres PFAS par les techniques de décontamination de l'eau, aussi bien celles s'appuyant sur des charbons actifs, que celles à base de filtration membranaire, en vogue dans les usines d'eau potable les plus modernes, a déclaré à l'AFP Julie Mendret, chercheuse à l'université de Montpellier.
La difficulté à retenir et donc à retirer ce produit chimique de l'eau s'explique par sa caractéristique de "PFAS à chaîne courte", qui contient moins d'atomes de carbone et est de ce fait "très petit, très mobile", explique cette spécialiste du traitement de l'eau.
Avec le TFA, "il n'y a pas de solution miracle à proposer aux consommateurs", car "l'eau en bouteille est aussi contaminée et les filtres ne sont pas efficaces", a souligné jeudi Pauline Cervan, toxicologue de Générations Futures, lors d'un point presse.
Outre le TFA, Générations Futures et l'UFC-Que Choisir ont analysé 33 PFAS: hors TFA, les concentrations en PFAS "restent conformes à la norme choisie par la France" (somme de 20 PFAS spécifiques limitée à 100 ng/l).
Mais cette norme est "bien moins stricte que celles d'autres pays" comme les États-Unis ou le Danemark, relèvent les associations, qui estiment que la norme française "est bien trop peu protectrice" et ne repose "sur aucune donnée toxicologique solide".
Si la France appliquait les normes les plus strictes et incluait le TFA, 80% des échantillons de l'enquête se révéleraient non-conformes, a souligné Oliver Andrault, chargé de mission à l'UFC-Que Choisir.
"Donc il faut agir et la France doit appliquer le principe de précaution", a-t-il ajouté.
"Au niveau des individus, il est impossible d'échapper aux PFAS" car ils sont partout, "il faut donc des actions collectives des pouvoirs publics qui soient prises bien en amont" pour réguler ce problème, abonde Pauline Cervan.
Une proposition de loi, visant à restreindre la fabrication et la vente des PFAS, adoptée en première lecture au printemps 2024 par les députés, doit à nouveau être soumise au vote des parlementaires le 20 février.
Au niveau européen, un projet de restrction est également à l'étude. Mercredi, une centaine d'ONG ont dénoncé, dans une lettre à à Ursula von der Leyen, le lobbying des industriels visant à obtenir des dérogations pour continuer à utiliser les "polluants éternels".
P.Raval--BD