L'opération de désinformation et d'influence pro-russse Doppelgänger, dénoncée depuis 2022 par des chercheurs et des autorités de plusieurs pays occidentaux, continue de se déployer sur les réseaux sociaux y compris sous forme de publicités, qui ont rapporté plusieurs centaines de milliers de dollars à Meta, selon des chercheurs.
Caricatures moquant des hommes politiques français, messages hostiles aux aides européennes à l'Ukraine: en 2024, des dizaines de milliers d'internautes en France, en Allemagne, en Pologne ou en Italie ont pu tomber sur des messages similaires sur Facebook.
Particularité: ce sont des "contenus sponsorisés", autrement dit, des annonceurs ont payé Meta pour faire apparaître ces publications auprès d'utilisateurs spécifiques. Ces publicités ciblées sont la base du modèle économique des réseaux sociaux.
Selon un rapport publié mi-janvier, ces posts font partie de l'opération Doppelgänger ("sosie", en allemand), une campagne de désinformation et d'influence pro-russe, qui avait d'abord consisté à imiter des médias occidentaux pour relayer des messages et des infox anti-Ukraine et anti-Occident.
Depuis plus de deux ans, l'opération continue de prospérer sur divers réseaux sociaux, et se décline donc aussi sous forme de publicités sur Facebook.
Ce qui a notamment permis à Meta de récolter, entre 2023 et novembre 2024, plus de 338.000 dollars grâce à au moins 8.000 contenus sponsorisés, d'après un rapport des organisations spécialisées dans l'analyse des manipulations en ligne Check First, Reset Tech et AI Forensics.
- Sanctions -
Deux entreprises russes avaient été identifiées dès 2022 comme étant à l'origine de contenus liés à Doppelgänger. Malgré des sanctions prises par l'UE en juillet 2023 et par les Etats-Unis et le Royaume-Uni en octobre 2024, l'une d'entre elles, Social Design Agency (SDA), a continué de publier sur Facebook, montrent les données analysées.
Le nombre de contenus concernés est très probablement bien plus élevé, les chercheurs s'étant concentrés sur un échantillon de publications obtenues via une fuite de données sur les activités de la SDA et révélées par des médias estonien et allemand.
"Meta a approuvé et profité des campagnes de désinformation (de la SDA, NDLR), sapant les processus démocratiques et violant potentiellement les règles internationales", dénonce Guillaume Kuster, à la tête de Check First, qui avait déjà détecté en 2024 des publicités pro-russes sur Facebook.
Sans la nommer directement, Meta avait reconnu dès septembre 2022 l'existence de "Doppelgänger", évoquant une "campagne d'influence coordonnée" liée à la Russie sur Facebook.
Contactée par l'AFP à propos des nouvelles données publiées par Check First mi-janvier, Meta s'est contenté de renvoyer vers ses précédents rapports mentionnant des menaces numériques liées à la Russie, dont un publié mi-2024 reconnaissant la présence de publicités liées à Doppelgänger.
Meta a aussi rappelé avoir été "la première entreprise de tech à mettre au jour la campagne", assurant "depuis enquêter (...) et bloquer des dizaines de milliers de contenus en lien avec ce réseau".
Doppelgänger avait aussi été dénoncée par les autorités françaises, allemandes et britanniques ces deux dernières années.
- Arrivée sur Bluesky -
Au-delà des publications sponsorisées sur Facebook, Doppelgänger s'est élargie, via des publications classiques, sur de nombreux réseaux "sur X, Facebook, YouTube, Telegram, Reddit, Pinterest et d'autres", relève Joseph Bodnar, chercheur à l’ISD (Institut for Strategic Dialogue).
Début 2025, des posts de la galaxie Doppelgänger ont aussi pour la première fois été observées sur Bluesky.
Les messages sont généralement repris par une myriade de comptes automatiques ("bots") qui présentent des caractéristiques similaires: photos de profils générées par intelligence artificielle, biographies identiques, dizaines de réponses à des messages produites en quelques jours…
"Les démocrates américains ont allumé la mèche en Ukraine, et maintenant, ce sont les pays de l'UE qui doivent payer la facture!", assure par exemple un certain "Jake Fitzgerald" sur Bluesky.
La campagne "s'adapte à l'actualité" et "se concentre sur des problèmes réels et tente de les extrapoler pour les aggraver", détaille M. Bodnar.
Sur Bluesky, les profils répondent en général à des comptes influents pour gagner en visibilité, ajoute Valentin Chatelet, du laboratoire d'analyse numérique de l'Atlantic Council, qui note un "certain niveau de sophistication dans la conduite de l'opération".
Jusqu'ici, les contenus Doppelgänger, toutes plateformes confondues, n'ont pas bénéficié d’une forte audience. Une partie du "succès" de la campagne provient paradoxalement de "la couverture médiatique qui la dénonce, des rapports des plateformes et des chercheurs qui révèlent leur objectif flagrant de propagande pro-russe", note Guillaume Kuster.
C.F.Salvi--BD