Jamais les pentes de l'exploit n'auront été aussi encombrées. Plus de vingt alpinistes veulent se lancer cette année à l'assaut du Shisha Pangma (Chine) pour décrocher leur "Graal": l'ascension des 14 plus hauts sommets de la planète.
"Cette saison s'annonce comme la plus intéressante de toute l'histoire", résume pour l'AFP, impatient, le chroniqueur allemand Eberhard Jurgalski, qui anime le site 8000ers.com.
Les grimpeurs qui se pressent dans le camp de base de cette montagne de 8.027 m d'altitude, dans le sud de la région autonome chinoise du Tibet, ont déjà tous gravi les 13 autres "8.000" des chaînes de l'Himalaya et du Karakoram.
Tous rongeaient leur frein depuis la décision de la Chine, l'an dernier, de suspendre la délivrance des permis pour le Shisha Pangma après la mort de deux Américaines et de leurs sherpas dans une avalanche.
La course à l'exploit a enfin repris cette saison, pour le plus grand bonheur des prétendants.
Depuis la semaine dernière, six des prétendants ont déjà réussi et ajouté leur nom à la liste de ceux - une cinquantaine à peine - qui ont déjà réussi cet improbable marathon des cimes.
Une bonne quinzaine sont prêts à les rejoindre. Du jamais vu en une seule saison...
"Nous sommes une communauté qui grandit, nous venons du monde entier", se réjouit l'un d'eux auprès de l'AFP, le Pakistanais Shehroze Kashif, 22 ans. "C'est une bonne nouvelle, ils réalisent tous leur rêve comme je le fais".
La conquête des 14 pics de plus 8.000 m a longtemps été l'œuvre de toute une vie. Seize ans ont été nécessaires à la légende italienne Reinhold Messner pour être le premier sur la liste en 1986.
- "Logistique au top" -
Le rythme de la prouesse s'est depuis largement accéléré. Quelques années à peine. Voire moins.
En 2019, le Népalo-Britannique Nirmal Purja a fait exploser le record de rapidité en plantant son piolet sur les 14 sommets en à peine six mois.
De retour cette année au camp de base du Shisha Pangma pour rééditer son exploit sans oxygène, il a diffusé à la fin de sa campagne un documentaire sur la plateforme Netflix qui a définitivement transformé la course de fond en sprint.
Les progrès des techniques de l'alpinisme, des prévisions météorologiques et surtout du soutien logistique l'expliquent largement.
De nombreux grimpeurs sont désormais encadrés de larges équipes de soutien et se déplacent d'un camp de base à l'autre en hélicoptère, afin de tenter plusieurs ascensions chaque saison.
"Il est clair que les pionniers d'avant tentaient des ascensions beaucoup plus difficiles, dangereuses et exceptionnelles", observe Eberhard Jurgalski. "Maintenant, tout est réalisable en moins de trois mois, la logistique est au top".
Après Nirmal Purja, la Norvégienne Kristin Harila et son guide népalais Tenjen Lama ont réussi à faire passer le record à... 92 jours.
A la tête de la plus importante agence népalaise d'expéditions de haute montagne Seven Summit Treks, Mingma Sherpa confirme que le nombre de candidats au 14 "8.000" n'en finit plus de croître.
- Puristes -
"Les gens décident rarement de s'attaquer d'un coup aux 14 sommets. Ils en grimpent un ou deux et puis la montagne les prend", note-t-il, "et ils décident de grimper toutes les plus hautes".
Selon ses estimations, le coût de la performance peut varier de 300.000 à 700.000 dollars (de 270.000 à 630.000 euros).
Pas de quoi décourager les vocations.
"Quand on franchit la ligne, c'est historique", commente une des candidates, Dawa Yangzum Sherpa. "J'ai parfois l'impression que c'est l'équivalent d'une coupe de monde où chacun représente les couleurs de son pays".
La guide népalaise espère bien devenir la première Népalaise de la liste des conquérants des 14 sommets. En y mettant la manière.
"Certains grimpent les 14 sommets, certains escaladent même l'Everest plusieurs fois mais ils ne seraient pas capables de le faire seuls, sans aucun soutien", s'agace-t-elle.
Les puristes ont ainsi égratigné Nirmal Purja et Kristin Harila pour recourir sans limite aux hélicoptères, pour utiliser des voix prééquipées ou s'être entourés d'équipes pléthoriques.
Ils y voient un dangereux dévoiement de l'esprit de l'alpinisme, comme ces dangereuses bousculades d'amateurs fortunés sur les pentes de l'Everest.
Des critiques qui laissent de glace la Russe Alina Pekova, qui s'est lancée dans la course l'an dernier pour franchir la ligne d'arrivée dès cette saison.
L'alpiniste dit comprendre les critiques mais juge qu'il existe simplement "différentes" façon d'y parvenir. "Si vous pouvez prendre la voie la plus rapide, pourquoi ne pas essayer ?", interroge-t-elle. "C'est juste un autre défi".
R.Altobelli--BD