Iguane rayé, mangouste, bambou ou encore cacao sauvage: en Martinique, de nombreuses espèces animales et végétales, introduites par l'homme, menacent l'écosystème. Plusieurs organismes sont mobilisés pour lutter contre ces espèces invasives.
Une dizaine d'employés du Parc naturel régional de Martinique (PNRM) passent au peigne fin les berges boisées de l'estuaire du cours d'eau de Madiana, tout près de la plage du même nom.
Équipés de sacs en toile et de cannes à pêche, ils traquent dans les arbres et les buissons des spécimens d'iguane rayé, un reptile qui prolifère depuis son introduction, dans les années 1960, sur l'île des Antilles.
"Ils se cachent bien ! Il faut avoir l'œil aguerri", s'amuse Widdy Télusson, chef d'une des équipes de la brigade d'intervention contre les espèces exotiques envahissantes du PNRM.
Originaire des forêts d'Amérique centrale et d'Amazonie, le saurien du continent menace l'écosystème insulaire, et singulièrement son plus proche cousin, l'iguane des Petites Antilles, endémique de la Martinique et de quelques îles voisines.
Le nouveau venu est plus agressif, plus prolifique, et peut s'hybrider avec l'espèce indigène, classée en danger critique d'extinction par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
"On veut éviter qu'ils rencontrent l'espèce endémique", résume M. Télusson. Celle-ci s'est retranchée sur quelques poches assiégées: l'îlet Chancel, dans la baie du Robert (est), et les forêts escarpées du massif de la montagne Pelée (nord).
Outre le PNRM, des équipes municipales et la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) participent à cette campagne d'élimination qui a débuté en 2013.
Depuis 2020, ces partenaires locaux et nationaux en ont capturé "1.300 en moyenne chaque année", estime Marcel Bourgade, le responsable de la brigade d'intervention du parc naturel régional.
- Rivières "détruites" -
Mais l'iguane vert est loin d'être le seul animal exotique qui préoccupe les autorités en Martinique. Le PNRM combat aussi, entre autres, les rats, les petites mangoustes indiennes ou les tortues de Floride, animaux de compagnie relâchés dans les cours d'eau.
"Elles mangent toute la flore et la faune endémique et n'ont pas de prédateur", se désole M. Bourgade. "Nos rivières sont détruites !"
Et il n'y a pas que les animaux: sur une liste de 115 espèces végétales exotiques dressée par la DEAL de Martinique, plus de 80 sont considérées comme invasives, à l'image du bambou commun, du cacao sauvage ou du pissenlit d'Europe.
La menace sur l'écosystème de la Martinique est réelle. "Dans les îles, c'est probablement la première cause de perte de biodiversité", explique Fabian Rateau, de l'Office français de la biodiversité (OFB).
Ainsi, alors que les territoires insulaires ne représentent que "5% des terres émergées", elles détiennent "60% des extinctions documentées depuis 1500", déroule ce spécialiste. Et "80% de ces extinctions sont liées à des espèces exotiques envahissantes", ajoute-t-il.
Mammifère carnivore asiatique introduit en Martinique à la fin du XIXe siècle, la mangouste est "considérée responsable du déclin de nombreuses espèces" dans toutes les Antilles, indique un mémoire de recherche de l'OFB présenté en août 2023.
Elle "est suspectée de se nourrir des œufs du moqueur gorge-blanche", oiseau endémique de Martinique, "dont il ne reste que 200 à 400 couples", précise ce document.
"Nous réalisons chaque année des campagnes de régulation des mangoustes", assure Alexis Guilleux, spécialiste de la protection des tortues marines et des iguanes des Petites Antilles à l'Office national des Forêts (ONF). Objectif, empêcher ces mammifères de dévorer les œufs des trois espèces de tortues marines qui pondent sur les plages de l'île.
Il est trop tard pour envisager d'éradiquer la mangouste ou le rat en Martinique. Mais les équipes de protection de l'environnement sont en mesure d'éliminer ces animaux indésirables sur la quarantaine d'îlets situés au large des côtes.
Ceux-ci abritent de nombreuses espèces d'oiseaux marins, en plus de l'iguane endémique. "Nous avons réalisé en mars 2023 une opération d'éradication complète du rat sur l'îlet Chancel", souligne M. Guilleux. L'ONF effectue des contrôles tous les trois mois au moyen de pièges à rats disposés sur l'îlet.
Mais la lutte contre les espèces invasives est un travail sans fin. "On est dans le curatif", reconnaît Fabian Rateau: "Le mieux, c'est de pouvoir être dans le préventif", à savoir d'empêcher par tous les moyens l'arrivée de nouvelles espèces exotiques.
G.Radhakrishnan--BD