Zimbabwe: les malades d'Harare obligés de se soigner à la campagne / Photo: Jekesai NJIKIZANA - AFP
La queue s'allonge devant une petite clinique dans la campagne zimbabwéenne: par manque de médicaments, d'équipements et même d'eau, les grands hôpitaux de la capitale Harare sont incapables de soigner les malades.
Le pays d'Afrique australe de plus de 15 millions d'habitants porte les stigmates d'une crise profonde qui dure depuis plus de 20 ans: inflation galopante, pénuries en tout genre allant de la nourriture au carburant, pauvreté généralisée et chômage élevé.
Le marasme économique n'épargne pas le secteur de la santé et les hôpitaux publics manquent de tout. Les plus chanceux, y compris des membres du gouvernement, préfèrent s'envoler vers l'étranger pour se faire soigner. D'autres optent pour des cliniques privées à Harare, mais les soins y sont coûteux et inaccessibles au plus grand nombre.
"J'ai perdu tout espoir de faire soigner ma tante à Harare. On nous a demandé d'apporter de l'eau pour qu'elle puisse boire, se baigner et tirer la chasse d'eau", raconte à l'AFP Gunira, sans donner son nom de famille.
Il a finalement décidé de se rendre à l'hôpital de Mount Darwin, à quelque 200 km au nord d'Harare. Et après trois heures de route, des infirmières installent enfin sa tante sur un brancard.
"Nous ne refusons jamais un patient", affirme le directeur des soins Paul Thistle. Les 150 lits sont rarement vides avec les 100.000 patients qui passent chaque année, certains venant même de la Zambie voisine.
Ici les tarifs restent abordables: la consultation coûte environ 15 dollars, contre 50 dollars en moyenne dans les cliniques privées de la capitale.
L'établissement financé par l'Église évangélique du Zimbabwe "s'est distingué non pas car il dispose des traitements les plus modernes, ni de haute technologie en matière de diagnostic et examens, mais parce qu'il offre l'intangible", explique M. Thistle, faisant allusion à la qualité du personnel.
- "Personnel épuisé" -
Médecins et infirmières ont massivement quitté le Zimbabwe ces dernières années, choisissant de travailler à l'étranger, découragés par les conditions de travail et les salaires médiocres dans leur pays.
Pour endiguer le phénomène, les autorités ont mis des barrières à l'obtention des documents permettant aux soignants de faire valoir leurs qualifications à l'étranger, nourrissant la frustration et les motifs de grèves.
"Le secteur a souffert pendant des années de sous-financement et d'un manque flagrant d'investissements", explique à l'AFP Itai Rusike, à la tête du réseau civique Community working group on health. "Le personnel épuisé est démotivé en raison de la baisse des revenus, des mauvaises conditions et du sous-équipement", poursuit-il.
Contacté par l'AFP, le ministère de la Santé n'a pas donné suite.
Réélu l'an dernier, le président Emmerson Mnangagwa avait inauguré en grande pompe avant la présidentielle une clinique "ultramoderne" dans un quartier de Bulawayo (sud-ouest), deuxième ville du pays. Mais ses détracteurs dénoncent des effets d'annonce sans aucune réforme pour sauver le secteur.
De nombreux établissements manquent cruellement de moyens pour faire passer une IRM ou une radio, ou traiter les cancers. Même les médicaments de base manquent régulièrement.
Atteint de tuberculose, Regis Matinenga, 50 ans, cherche depuis plus d'un an un traitement. Il a finalement parcouru quelque 340 km pour se faire soigner à Mount Darwin: aucun endroit "ne m'a offert de service comparable", dit-il en se remémorant les jours sans fin laissé à tousser et greloter sur des lits d'autres hôpitaux.
Compte tenu de l'éloignement, des proches de malades campent souvent à l'extérieur de l'établissement, parfois pendant plusieurs jours.
Certains y ont vu l'opportunité d'arrondir leurs fins de mois et proposent des nuitées chez l'habitant pour 15 dollars.
Et compte tenu de l'afflux, l'hôpital songe à mettre en place "une auberge pour les proches", selon M. Thistle.
C.F.Salvi--BD