Trois ans après les JO de Tokyo marqués par le craquage en direct de la superstar américaine de la gym Simone Biles, la question de la santé mentale des sportifs sort peu à peu du non-dit et la France essaie de rattraper son retard.
Au niveau mondial, "près d'un athlète sur trois présente des symptômes de maladie mentale", estimait récemment Marion Leboyer, psychiatre et directrice générale de FondaMental, une fondation de coopération scientifique, citant notamment les troubles anxieux, dépressifs ou alimentaires.
Cette fondation dévoilera prochainement les résultats d'une étude en cours sur les sportifs français.
La grande majorité des sportifs qui parlent de leurs tourments, comme le blues post-JO ou la dépression, le font souvent après leur carrière. Mais quelques-uns prennent désormais la parole en activité.
Depuis qu'elle a renoncé à une partie de la compétition olympique au Japon à l'été 2021 car elle souffrait d'un problème de perte de repères dans l'espace la mettant en danger physique, la gymnaste Simone Biles remet souvent le sujet de la santé mentale sur la table et suit une thérapie.
- Escalade et troubles alimentaires -
Plus récemment, la star slovène de l'escalade, Janja Garnbret, a appelé à une prise de conscience à propos des troubles alimentaires dans sa discipline afin d'éviter que des jeunes grimpeurs ne tombent dans l'anorexie et la boulimie en voulant devenir plus légers.
Sous pression, la Fédération internationale d'escalade a mis en place une nouvelle réglementation pour contrôler la santé des compétiteurs.
De son côté, la Fédération française de rugby (FFR) a annoncé il y a peu un plan pour mieux prévenir et traiter la dépression susceptible de favoriser des addictions.
Globalement, le sport de haut niveau "donne un sens à la vie" et les sportifs ont "moins de pensées suicidaires", explique à l'AFP le psychiatre Julien Dubreucq, membre de FondaMental. Mais, détaille-t-il, "c'est une population qui a plus de troubles anxieux, plus de risque de dépression et de troubles du sommeil".
Il pointe aussi l'angle mort des 12-18 ans, des champions en herbe qui n'arrivent pas toujours au bout de leurs rêves.
"Il y a aussi l'angoisse d'être sélectionné ou pas si on a parlé de difficultés de santé mentale", ajoute ce psychiatre qui travaille sur la stigmatisation. Pour lui, "les témoignages de rétablissement aident", même si la dépression reste à tort associée à une faiblesse de caractère.
Alors que la France n'était pas en avance sur cette question, largement taboue, "les choses ont changé", assure l'ex-escrimeuse Astrid Guyard, secrétaire générale du Comité olympique français (Cnosf).
"Avec les athlètes, on a poussé pour se mettre à niveau des autres délégations, c'est vrai qu'elles avaient déjà pris en compte la dimension psychologique", a-t-elle expliqué à l'AFP.
- Des psy au village olympique -
Cet été, il y aura deux psychologues dans la maison de la performance dédiée à l'équipe de France, installée à côté du village olympique, qui seront aussi disponibles pour les entraîneurs, a-t-elle indiqué. Au total quatre "welfare officers" seront chargés "du bien-être psychologique des athlètes de la délégation française" au village.
Après l'affaire Biles aux Jeux de Tokyo et dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le Comité international olympique (CIO) avait mobilisé des "welfare officers" pour les JO d'hiver de Pékin, l'année suivante.
Aux Jeux de Paris, les bonnes pratiques sur les réseaux sociaux, où les sportifs peuvent subir du cyberharcèlement, feront aussi l'objet d'un accompagnement.
"En discutant avec d'anciens sportifs, je me suis rendue compte que très peu n'ont pas été déprimés pendant leur carrière, puis une fois qu'ils ont arrêté", a récemment raconté la triple championne olympique Marie-José Pérec à La Tribune dimanche.
Après avoir quitté brutalement Sydney avant la compétition olympique en 2000, sa grand-mère antillaise l'avait sommée de s'expliquer publiquement -ce qu'elle a fait-, puis "d'aller voir un psy" -ce qu'elle n'a pas fait, raconte-t-elle.
A compter de juin, les sportifs bénéficieront en ligne d'une "boîte à outils" sur la santé mentale ainsi que l'accès au dispositif gouvernemental "mon soutien psy", a annoncé la ministre des Sports et des JO Amélie Oudéa-Castéra.
Elle a glissé qu'elle voulait aussi "mieux encadrer et reconnaître" le métier de "préparateur mental", destiné à améliorer la performance, une profession non réglementée qui compte des experts, mais aussi de véritables charlatans.
K.Williams--BD