Admirer au lever du soleil le reflet dans l'eau d'Angkor Wat - le temple le plus célèbre d'Asie, seul au milieu des ruines: une expérience unique plébiscitée par une poignée de touristes depuis la réouverture du Cambodge après deux ans de fermeture.
"C'est incroyable de voir si peu de monde, tellement différent de mes visites précédentes", s'enthousiame Marjan Colombie, venue de Belgique pour admirer le site qui a bénéficié d'importants travaux de rénovation depuis la pandémie de coronavirus.
Avant la crise sanitaire et les strictes restrictions de voyage imposées par les autorités cambodgiennes, il fallait faire la queue pour grimper dans les tours du complexe ou tenter de prendre la photo parfaite au bord du lac qui le borde.
Plus au nord, le temple Bayon, célèbre pour ses visages sculptés dans la pierre, et le Ta Prohm, étranglé par de gigantesques racines, ressemblaient à des parcs d'attraction bondés.
Après avoir vacciné la majorité de sa population, le Cambodge a rouvert progressivement aux visiteurs internationaux ces derniers mois.
Mais les touristes sont encore très peu nombreux à Angkor.
Seuls 30.000 se sont rendus depuis le début de l'année dans l'ancienne capitale de l'empire khmer (IXe-XIVe siècles), classée au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1992.
Avant la pandémie, ils étaient, chaque année, plus de 2 millions.
- Moteur financier -
Le manque à gagner est gigantesque. Angkor, plus grand site archéologique au monde (400 km2 - quatre fois Paris), génère l'essentiel des recettes touristiques du pays.
Ces dernières se sont effondrées, à 184 millions de dollars l'année dernière contre près de 5 milliards en 2019, avant la crise sanitaire.
Beaucoup de commerçants et d'hôteliers autour du parc archéologique ont mis la clé sous la porte.
Chea Sokhon, directeur général de l'hôtel Sarai Resort and Spa, a pu rouvrir son établissement, fermé depuis deux ans.
Le retour des premiers touristes lui redonne de l'espoir.
Après avoir licencié au printemps 2020 la quasi-totalité de sa centaine d'employés, il a réembauché une dizaine d'entre eux.
"C'est comme si nous repartions de zéro", souligne l'hôtelier, qui siège également au conseil du tourisme de Siem Reap, porte d'entrée des temples.
Selon lui, 20% des hôtels de la ville ont rouvert depuis le début de l'année. 30% s'apprêteraient à le faire.
Après avoir été contraint d'enseigner l'anglais en ligne pour nourrir sa famille, Meth Savutha, guide touristique, est lui aussi de retour sur le site.
"Les groupes ne sont pas encore revenus. On espère que les affaires repartiront vraiment à la fin de l'année".
- Repos bénéfique -
Si la pandémie a été catastrophique financièrement, elle a permis à certains temples, malmenés par le tourisme de masse, la pollution, la végétation tropicale et les pluies de mousson, de se refaire une santé.
Réparation des fragiles façades en grès, embauche de jardiniers pour retirer les arbrisseaux installés dans les fissures, installation d'un système d'irrigation pour que l'herbe reste verte pendant la saison sèche: de nombreux travaux ont été entrepris depuis le début de la crise sanitaire.
"Nos temples avaient aussi besoin de se reposer", relève Long Kosal, porte-parole de l'Autorité pour la protection du site et l'aménagement de la région d'Angkor.
Le parc reste très fragile. Les édifices religieux en grès sont les seuls rescapés de l'étreinte mortelle de la forêt, la végétation, la mousson et les termites ayant eu raison des maisons et des palais de bois couverts de tuile et de chaume.
Pour protéger l'authenticité du site, les autorités ont mis au printemps 2021 leur veto à un projet titanesque, "Angkor - le Lac des merveilles", porté par le groupe de casinos Nagacorp de Phnom Penh.
Prévu à quelques 500 mètres de la zone règlementée, sur une surface de 75 hectares, il comprenait la construction d'un parc aquatique, un parc dédié aux nouvelles technologies, un complexe hôtelier haut de gamme...
Le Cambodge espère accueillir 700.000 visiteurs sur l'ensemble de 2022.
De nouveaux vols quotidiens à destination de Siem Reap depuis Singapour ont été ouverts.
D'ici quelques années, le tourisme de masse pourrait prochainement être de retour dans "la citée perdue", abandonnée pendant des siècles à la jungle.
C.Jaggi--BD